Maître Eolas à propos de l’audience de François Danglehant : « Il va se crasher en flammes avec un certain panache » France

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L’audience disciplinaire pour le moins mouvementée d’un confrère a fait le buzz,ce qui était sans nul doute le but de l’intéressé. Intéressé, je ne l’étais pas de prime abord, et pour tout dire, je ne le suis guère plus après avoir visionné les désolantes images de cette audience, en pièce jointe.

Malgré le débauche de ridicule, dans le meilleur des cas, quand ce n’est pas l’usage de voies de faits, d’injures et de menaces physiques par l’intéressé et ses supporters, plusieurs personnes ont exprimé à tout le moins une curiosité à ce sujet et s’il n’y aurait pas malgré tout quelque mérite à son argumentation. Par chance pour eux, les nazis ayant eu la bonne idée de capituler sans conditions il y a 69 ans, j’ai eu le temps de me pencher un peu sur ce cas.

Néanmoins, cette affaire ne méritant pas que je lui fasse l’honneur de mon blog, je traiterai de son cas sur Google+. Je n’ai pas envie d’un débarquement de trolls là bas.

De quoi s’agit-il ?

De ce que j’ai pu comprendre de la vidéo, un confrère du barreau de Bobigny est poursuivi au disciplinaire pour avoir insulté des magistrats (la vidéo montre en effet qu’insulter des juges semble être une idiosyncrasie de ce monsieur). Il ne s’étend pas sur cette accusation, mais semble obsédé par le fait que le Conseil de discipline régional ne serait pas légalement apte à juger les poursuites dont il fait l’objet (donc que personne ne le serait, ce qui, convenons-en, serait fort pratique).

Un petit mot s’impose ici.

Depuis 2004, l’instance disciplinaire des avocats est le conseil de discipline, qui réunit des membres du conseil de l’ordre de tous les barreaux du ressort de la cour d’appel, dont le nombre dépend des effectifs de l’ordre concerné (dans deux limites : pas plus de la moitié des membres, un membre au minimum). Paris est une exception, puisque ce barreau réunit la moitié des avocats de France : il a son propre conseil de discipline.
L’autorité de poursuite est le bâtonnier de l’ordre (c’est le président du conseil de l’ordre, élu par l’assemblée générale des avocats pour un mandat de deux ans) ou son représentant, qui ne siège pas au conseil de discipline, puisqu’il porte l’accusation.

Ainsi, s’agissant du barreau de Bobigny, ressort de la cour d’appel de Paris, le conseil de discipline réunit des membres du conseil de l’ordre des barreaux de Bobigny, Créteil, Évry, Meaux, Melun, Fontainebleau, Sens et Auxerre.

Ce confrère estime que les conditions de désignation des membres n’ayant pas été respectées, ce Conseil de discipline n’est pas valablement formé, donc ne peut le juger, et par conséquent, le condamner.

D’où deux questions qui se posent : l’argument est-il fondé en fait (le conseil a-t-il valablement été nommé ou non ?) et en droit (s’il n’a pas été nommé légalement, perd-il de plein droit toute qualité à siéger et ses membres peuvent-ils être insultés en toute impunité ?).

Commençons par la fin pour ménager un peu de suspense. En supposant pour le moment que le conseil de discipline ait été irrégulièrement désigné, quelles sont les conséquences ?

La réponse se trouve à l’article 19 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 organisant notre belle profession : “Toute délibération ou décision du conseil de l’ordre étrangère aux attributions de ce conseil ou contraire aux dispositions législatives ou réglementaires est annulée par la cour d’appel, sur les réquisitions du procureur général.
“Peuvent également être déférées à la cour d’appel, à la requête de l’intéressé, les délibérations ou décisions du conseil de l’ordre de nature à léser les intérêts professionnels d’un avocat.”

La jurisprudence, peu fournie en la matière, précise que la cour d’appel ne peut qu’annuler la délibération illégale, elle ne peut y substituer une autre. Le conseil doit le cas échéant statuer à nouveau, en respectant la loi cette fois.

Donc mon confrère peut faire annuler par la cour d’appel de Paris les délibérations irrégulières de chacun des barreaux ayant désigné les membres de ce conseil de l’ordre (la jurisprudence a jugé qu’un avocat a qualité pour agir contre une décision d’un conseil d’un autre ordre que le sien dès lors que cette décision un impact sur lui, ce qui est le cas ici). Ce confrère indique d’ailleurs avoir effectué un tel recours devant la cour d’appel d’Amiens, et non celle de Paris, normalement compétente, en invoquant la faculté offerte par la loi à un avocat lui-même partie à un procès se tenant devant la juridiction où il exerce de saisir une juridiction limitrophe de celle-ci.
Ce recours doit respecter certaines règles de forme, notamment une saisine préalable du bâtonnier dans les deux mois de la décision qui a un mois pour présenter cette réclamation au Conseil de de l’ordre qui peut ainsi régulariser sa décision, ou l’abroger. En cas de rejet ou d’inaction valant rejet, l’avocat s’estimant lésé peut saisir la cour d’appel d’un recours suspensif (art. 15 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991).

D’où ma première interrogation, hélas sans réponse. Ce confrère a-t-il protesté auprès du bâtonnier ? Si oui, le bâtonnier, constatant l’irrégularité du nombre d’avocats désignés, a-t-il régularisé la situation ? Si non, pourquoi ce confrère ne produit-il pas le récépissé de son recours prouvant que la décision désignant les membres du conseil de discipline est suspendue, assurant son triomphe ? Car s’il n’a rien fait de tout cela, la désignation des membres du conseil de discipline est définitivement valable.
S’il l’a fait, il peut demander que le conseil de discipline sursoie à statuer jusqu’à ce que la question de la validité de sa formation soit tranchée, et le Conseil n’aura d’autre choix que de faire droit à cette demande.

Quoi qu’il en soit, il ne peut en aucun cas, du fait qu’il aurait exercé ce recours, se comporter comme s’il l’avait déjà gagné et traiter ses confrères exerçant leurs fonctions (bénévolement) comme s’ils passaient outre en connaissance de cause une décision de justice annulant leur désignation et siégeaient “sans droit ni titre”, expression juridique impropre puisqu’elle s’applique à des squatteurs d’un bien immeuble. Juridiquement, ils sont tenus d’être là car convoqués pour remplir leurs fonctions. Ils se mettraient en tort en ne venant pas.

Mais au fait, a-t-il raison de contester la désignation du conseil de discipline ?

À en croire les propos, un peu confus il faut bien le dire, de l’intéressé, et notamment les pièces qu’il a publiées sur son site, je suis circonspect.

1) Pour lui, le barreau d’Evry a désigné à tort 8 membres alors qu’il n’aurait dû n’en désigner que 6, et en déduit que toutes les formations du conseil de discipline perdent toute qualité à siéger. Outre le fait que sa conclusion est discutable, sa prémice l’est aussi.

En effet, le barreau d’Evry comporte 303 avocats. L’article 180 du décret de 1991 organisant la profession d’avocat dispose en son alinéa 5 qu’on désigne “trois membres titulaires et trois membres suppléants dans les barreaux où le nombre des avocats disposant du droit de vote est de cent à deux cents”, et à l’alinéa 8 du même article, qui semble avoir échappé à mon confrère : “Chaque barreau réunissant plus de deux cents avocats disposant du droit de vote désigne un représentant supplémentaire et son suppléant par tranche de deux cents”.
Le barreau d’Évry étant composé de 303 avocats, et 303 étant supérieur à 200, mais inférieur à 400, il y a lieu de désigner un titulaire et un suppléant supplémentaires. 6+2=8 membres, les mathématiques donnent raison au conseil de l’ordre d’Évry qui a bien élu le nombre correct de membres au Conseil de discipline.
Mon confrère se trompe en estimant que seule une tranche complète de 200 avocats donne droit aux deux membres supplémentaires, c’est-à-dire qu’il faudrait atteindre 400 pour avoir droit à deux membres supplémentaires. Ce n’est pas ce que dit le texte, qui dit bien que dès lors qu’il dépasse 200 membres, le barreau désigne deux membres supplémentaires, et l’interprétation de mon confrère impliquerait que le barreau devrait doubler de taille pour avoir enfin droit à 2 membres supplémentaires, dont un suppléant. Cela n’aurait guère de sens.

2) Le président du Conseil de discipline ferait l’objet d’une demande de récusation non encore purgée.
Aucune preuve n’est publiée étayant cette affirmation, qui me paraît douteuse, puisque la récusation aurait dû, à peine d’irrecevabilité, être formée en septembre 2013, date à laquelle ce confrère a eu connaissance de l’exercice de poursuites à son encontre, et est tranchée en un peu plus de huit jours. Il est très douteux qu’une telle demande soit encore pendante 7 mois après.
Ce qui expliquerait l’absence de preuves de cette affirmation.

3) L’élection du président du conseil de discipline ne se serait pas tenue à bulletins secret comme l’exige l’art. 22-1 de la loi du 31 décembre 1971. Sauf que la loi du 31 décembre 1971 n’exige nullement cette modalité. C’est semble-t-il sur cette base qu’il considère que le PV d’assemblée générale serait faux et traite ses confrères de « faussaires ». Ce qui est infondé, abusif, et discourtois.

4) On l’entend également affirmer à l’audience que le conseil devrait être composé d’au moins 24 personnes, soit la moitié des membres élus. C’est inexact, le minimum légal est de 5 (art. 22-1 de la même loi), ce même article prévoit la possibilité de diviser le conseil en formations restreintes (une par tranche de 500 avocats dans le ressort de la cour d’appel), ce qui a été décidé lors de la première séance plénière du conseil de discipline.
Il allègue aussi que des avocats de chaque barreau de la cour d’appel devraient siéger dans chaque formation, ce qui est une condition que la loi ne pose nullement (ce serait même impossible partout où un barreau de 8 à 49 avocats n’élit qu’un seul membre).

Bref ce confrère illustre l’adage bien connu dans la profession : plus un avocat s’agite et crie fort, moins il a raison. Cette règle a donné naissance au trolling sur internet, d’ailleurs.

Face au tapage et aux voies de faits, le président du conseil a sagement décidé de renvoyer d’office l’affaire à une séance ultérieure, la sécurité des membres du conseil n’étant pas assurée.
La solution semble devoir de juger cette affaire à huis clos, ce que permet l’article 194 du décret pour que les fâcheux restent dehors.

Le paradoxe ultime de cette affaire est que peu importe ce qu’on reproche à cet avocat, son comportement à l’audience, qu’il a lui-même fait filmer, et qui constitue parfois des délits pénaux, suffit largement à justifier contre lui les plus hautes sanctions disciplinaires et a convaincu tous les avocats qui ne le connaissaient pas qu’il n’a rien à faire dans notre profession. La défense de rupture est un art subtil, et n’est pas Vergès qui veut (Vergès a d’ailleurs été suspendu un an).

Mais reconnaissons au moins un mérite à ce confrère : il va se crasher en flammes avec un certain panache. 

Maître Eolas

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