Les États-Unis dépendent en grande partie de l’argent Saoudien pour soutenir les rebelles Syriens Infos internationales

Mots-clés : , , ,

 

Par Mark Mazzetti et Matt Apuzzo – 23 Janvier 2016

WASHINGTON – Quand le président Obama avait secrètement autorisé la CIA à commencer à armer les combattants rebelles de Syrie en 2013, l’agence d’espionnage savait qu’elle aurait un partenaire prêt à l’aider à financer l’opération secrète. Le même partenaire sur lequel la C.I.A avait pu s’appuyer pendant des dizaines d’années, tant pour l’argent que pour la discrétion, dans leurs lointains conflits: le Royaume d’Arabie Saoudite.

Depuis lors, la CIA et son homologue saoudien ont maintenu cette entente improbable pour la mission de formation des rebelles, mission que les Américains nomment « Timber Sycamore ». Selon l’accord et les dires de responsables de l’administration, anciens et actuels, les Saoudiens contribuent à la fois par de l’armement et par d’importantes sommes d’argent, et la CIA prend la responsabilité de la formation des rebelles au maniement des fusils d’assaut AK-47 et des missiles antichars.

Le soutien aux rebelles syriens n’est que le dernier chapitre en date dans les relations longues de plusieurs décennies entre les services d’espionnage de l’Arabie-Saoudite et des États-Unis, une alliance qui perdure depuis l’affaire de l’Iran-Contra, le soutien aux moudjahidines contre les Soviétiques en Afghanistan et diverses guerres par procuration en Afrique. Parfois, comme en Syrie, les deux pays ont travaillé de concert. Dans d’autres cas, l’Arabie Saoudite a tout simplement le contrôle des activités avec le consentement secret des Américains.

Le programme commun de l’armement et de la formation, que d’autres pays du Moyen-Orient soutiennent financièrement, est une continuité dans la relation entre l’Amérique et l’Arabie Saoudite – ainsi que la place du Royaume dans la région – en pleine mutation. Les anciens accords de pétrole à bas prix et de géopolitique qui ont longtemps lié les deux pays, se sont desserrés tandis que la dépendance de l’Amérique au pétrole étranger s’affaiblissait et que l’administration Obama allait sur la pointe des pieds vers un rapprochement diplomatique avec l’Iran.

Et pourtant, l’alliance persiste, maintenue à flot sur une mer d’argent saoudien et sur la reconnaissance d’intérêts mutuels. En plus de vastes réserves de pétrole et du rôle de point d’ancrage spirituel du monde musulman sunnite de l’Arabie Saoudite, l’ancienne relation en matière de renseignements contribue à expliquer pourquoi les États-Unis ont été réticents à critiquer ouvertement l’Arabie Saoudite pour ses violations des droits de l’homme, son traitement des femmes et son soutien à l’extrême souche de l’islam, le wahhabisme, qui a inspiré de nombreux groupes terroristes que les États-Unis combattent. L’administration Obama n’a pas condamné publiquement la décapitation en Arabie Saoudite ce mois-ci d’un religieux chiite dissident, le cheikh Nimr al-Nimr, qui avait contesté la famille royale.

Bien que les Saoudiens aient fait part publiquement de leur soutien à l’armement des groupes rebelles en Syrie, l’étendue de leur partenariat avec la campagne d’action secrète de la CIA et leur soutien financier direct n’a pas été divulgué. Des détails ont été reconstitués dans des interviews avec une demi-douzaine de fonctionnaires et des sources américaines, actuels et anciens de plusieurs pays du Golfe persique. La plupart ont parlé sous couvert de l’anonymat parce qu’ils ne sont pas autorisés à discuter d’un programme confidentiel.

Dès l’instant où l’opération de la CIA a été lancée, l’argent saoudien la soutenait.

« Ils comprennent qu’ils doivent nous avoir, et nous comprenons que nous devons les avoir », a déclaré Mike Rogers, ancien membre du Congrès Républicain du Michigan, qui était président de la Chambre de Commission du Renseignement lorsque l’opération de la CIA a commencé. Rogers a refusé de discuter des détails du programme.

Les responsables américains n’ont pas divulgué le montant de la contribution saoudienne, qui est de loin la plus importante comparée à celle de toute autre nation, au programme d’armement des rebelles contre l’armée du président Bachar al-Assad. Mais les estimations ont évalué le coût total de l’effort d’armement et de formation à plusieurs milliards de dollars.

La Maison-Blanche a accepté le financement occulte de l’Arabie Saoudite – ainsi que du Qatar, de la Jordanie et de la Turquie – à un moment où Obama poussait les nations du Golfe à jouer un plus grand rôle en matière de sécurité dans la région.

Les porte-parole, de la CIA et de l’ambassade d’Arabie Saoudite à Washington, ont tout deux refusé de commenter.

Lorsque M. Obama a signé l’armement des rebelles au printemps 2013, il l’a fait en partie pour tenter de gagner le contrôle d’une zone apparemment soumise au chacun pour soi dans la région. Les Qataris et les Saoudiens faisaient cheminer des armes en Syrie depuis plus d’un an. Les Qataris avaient même livré clandestinement des fabrications chinoises de missiles antichars FN-6 à travers la frontière turque.

Les efforts saoudiens ont été menés par le flamboyant prince Bandar ben Sultan qui était à ce moment le chef du renseignement et dirigeait les espions saoudiens pour acheter des milliers de fusils AK-47 et des millions de cartouches de munitions en Europe de l’Est pour les rebelles syriens. La CIA a aidé à organiser une partie des achats d’armes pour les Saoudiens, dont une grosse affaire en Croatie en 2012.

À l’été 2012, un effet de roue libre s’était emparé de la frontière de la Turquie avec la Syrie lorsque les nations du Golfe faisaient cheminer de l’argent et des armes vers les groupes rebelles – même certains groupes radicaux tels que Al-Qaida qui entretenaient des liens avec des responsables américains.

La CIA était la plupart du temps à l’écart au cours de cette période. Autorisé par la Maison-Blanche, le cadre du programme de formation “Timber Sycamore” fournissait une aide non létale aux rebelles, aucune arme. À la fin de 2012, selon deux anciens hauts responsables américains, David H. Petraeus, le directeur de la CIA, avait prononcé un discours sévère à l’encontre des responsables du renseignement de plusieurs pays du Golfe lors d’une réunion près de la mer morte en Jordanie. Il les a réprimandé pour l’envoi d’armes en Syrie sans coordination avec les officiers de la CIA ou autres en Jordanie et en Turquie.

Quelques mois plus tard, M. Obama a donné son approbation pour que la CIA commence à armer et à entraîner directement les rebelles d’une base en Jordanie, modifiant le programme “Timber Sycamore” pour permettre une assistance létale. Selon ces nouvelles dispositions, la CIA a pris la direction de la formation, tandis que l’agence de renseignements de l’Arabie Saoudite, la direction générale du renseignement, fournissait l’argent et les armes, incluant des missiles antichars TOW.

Les Qataris ont également contribué à financer la formation et ont permis qu’une de leurs bases soit utilisée comme lieu de formation supplémentaire. Mais les responsables américains ont confirmé que l’Arabie Saoudite était de loin le plus grand contributeur à l’opération.

Alors que l’administration Obama du Congrès voyait cette coalition comme un argument commercial, certains, y compris le sénateur Ron Wyden, un démocrate de l’Oregon, ont soulevé des questions sur les raisons pour lesquelles la CIA avait besoin de l’argent saoudien pour l’opération. Wyden avait ensuite refusé d’être interviewé mais son bureau avait publié une déclaration appelant à une plus grande transparence. “De hauts responsables ont déclaré publiquement que les États-Unis cherchaient à renforcer les capacités de combat de l’opposition anti Assad, mais ils n’ont pas fourni publiquement des informations sur la façon dont cela s’est fait, ni sur les organismes américains impliqués ou sur les partenaires étrangers avec qui ces agences travaillent”, dit la déclaration.

Lorsque les relations entre les pays impliqués dans le programme de formation sont tendues, il revient souvent aux États-Unis de trouver des solutions intermédiaires. En tant qu’hôte, la Jordanie attend des paiements réguliers des Saoudiens et des Américains. Lorsque les Saoudiens paient en retard, selon un ancien haut responsable du renseignement, les Jordaniens se plaignent auprès des fonctionnaires de la CIA.

Alors que les Saoudiens ont financé les précédentes missions de la CIA sans aucune condition, l’argent pour la Syrie est livré avec des retards, selon des responsables actuels et anciens. “Ils veulent un siège à la table, et un mot à dire dans les débats de la table concernant les agendas”, a déclaré Bruce Riedel, un ancien analyste de la CIA et maintenant Agrégé Supérieur de la Brookings Institution.

Le programme de formation de la CIA est distinct d’un autre programme d’armement des rebelles syriens, celui que le Pentagone organisait et qui a depuis cessé. Ce programme avait été conçu pour former les rebelles à lutter contre les combattants de l’État islamique en Syrie, à la différence du programme de la CIA qui met l’accent sur les groupes rebelles qui combattent l’armée syrienne.

Alors que l’alliance des Renseignements est au cœur de la lutte en Syrie et a joué un rôle important dans la guerre contre Al-Qaïda, une irritation persistante dans les relations américano-saoudiennes a mené à un point où les citoyens saoudiens continuent de soutenir des groupes terroristes, selon les analystes.

L’argument le plus courant devient: “nous avons besoin d’eux en tant que partenaires de lutte contre le terrorisme”, lequel est pourtant le moins pertinent, a déclaré William McCants, un ancien conseiller de lutte contre le terrorisme du Département d’État et auteur d’un livre sur l’État islamique. “Si cela est purement une conversation à propos de la coopération antiterroriste, et si les Saoudiens sont une grande partie responsable du problème en créant le terrorisme, en premier lieu, alors comment un tel argument peut-il être convaincant?”

À court terme, l’alliance reste solide, renforcée par une liaison entre les maîtres d’espionnage. Le Prince Mohammed ben Nayef, Ministre de l’Intérieur saoudien qui a repris l’effort du prince Bandar d’armer les rebelles syriens, a bien connu le directeur de la CIA, John Brennan, au moment où M. Brennan était le chef de l’agence de Riyad dans les années 1990. Leurs anciens collègues disent que les deux hommes restent proches, et le prince Mohammed s’est fait des amis à Washington grâce à ses actions offensives pour démanteler des groupes terroristes tel que Al-Qaïda dans la péninsule Arabique.

Le travail de M. Brennan, lorsqu’il était en poste à Riyad, représentait plus que celui d’un ambassadeur, il était un point crucial de la puissance américaine dans le royaume. D’anciens diplomates rappellent que les discussions les plus importantes découlaient toujours du chef de la CIA implanté là-bas.

Des responsables du Renseignement actuels et anciens disent qu’il y a un avantage via ce canal de communication: les Saoudiens sont beaucoup plus sensibles à la critique américaine quand elle est faite en privé, et ce canal secret a fait plus pour orienter le comportement saoudien vers les intérêts de l’Amérique que toutes les réprimandes publiques ne le pourraient.

Les racines de la relation sont profondes. À la fin des années 1970, les Saoudiens avaient organisé ce qui a été connu sous le nom de « Safari Club » – une coalition de nations dont le Maroc, l’Égypte et la France – qui couvrait des opérations secrètes autour de l’Afrique à un moment où le Congrès avait coupé les ailes de la CIA après des années d’abus.

“Et donc le royaume, avec ces pays, a contribué d’une certaine façon, il me semble, à maintenir le monde en toute sécurité à un moment où les Etats-Unis n’étaient pas en mesure de le faire”, a rappelé le prince Turki al-Faisal, ancien chef du Renseignement Saoudien, dans un discours à l’Université de Georgetown en 2002.

Dans les années 80, les Saoudiens ont aidé à financer les opérations de la CIA en Angola, où les États-Unis ont soutenu les rebelles contre le gouvernement allié aux Soviétiques. Alors que les Saoudiens étaient farouchement anticommunistes, la principale motivation de Riyad semblait être de consolider ses liens avec la CIA. “Ils payaient de bonne volonté”, a rappelé un ancien officier supérieur du Renseignement qui a participé à l’opération.

Dans l’épisode qui est peut-être le plus conséquent, les Saoudiens ont contribué à armer les rebelles moudjahidines pour chasser les Soviétiques hors d’Afghanistan. Les États-Unis ont investi des centaines de millions de dollars chaque année dans cette mission, et les Saoudiens se sont alignés, dollar pour dollar.

L’argent coulait à travers un compte bancaire suisse de la CIA. Dans le livre « La Guerre selon Charlie Wilson », le journaliste George Crile III décrit comment la CIA s’organisait pour que le compte ne gagne aucun intérêt, en accord avec l’interdiction islamique de l’usure.

En 1984, lorsque l’administration Reagan avait demandé de l’aide pour son plan secret de vendre des armes à l’Iran pour financer les rebelles Contra au Nicaragua, Robert C. McFarlane, Conseiller à la Sécurité Nationale, avait rencontré le prince Bandar, qui était l’ambassadeur saoudien à Washington à l’époque. La Maison-Blanche avait clairement indiqué que les Saoudiens “gagnaient une considérable marque de faveur” en coopérant.

Le prince Bandar avait promis 1 million de dollars par mois pour aider à financer les Contras, en reconnaissance du soutien passé de l’administration envers les Saoudiens. Les contributions ont continué après que le Congrès eut coupé le financement des Contras. Au final, les Saoudiens ont contribué pour 32 millions de dollars, versés par l’intermédiaire d’un compte bancaire aux îles Caïmans.

Lorsque le scandale Iran-Contra a éclaté, et que des questions ont été soulevées sur le rôle saoudien, le royaume a gardé ses secrets. Le prince Bandar a refusé de coopérer à l’enquête menée par Lawrence E. Walsh, avocat indépendant.

Dans une lettre, le prince a refusé de témoigner, expliquant que dans son pays “les confidences et les engagements, ainsi que notre amitié, sont donnés, non seulement pour l’instant, mais pour le long terme”.

Source : New-York Times

Traduction : Rochelle Cohen

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial